« L’autosuffisance rizicole en Afrique de l’Ouest ne me paraît pas accessible avec le mode actuel de production » (expert)

(Agence Ecofin) – En Afrique de l’Ouest, l’objectif d’autosuffisance dans le riz a été repoussé pour 2035 contre 2025 précédemment. Ce nouveau délai de 10 ans est censé permettre à la région la plus peuplée du continent d’accroître ses efforts pour améliorer sa production. Si cette ambition reste salutaire, elle pourrait encore se solder par un échec sans des changements structurels et radicaux dans les systèmes de production et les politiques. C’est ce qu’a indiqué à l’Agence Ecofin, Patricio Mendez del Villar. Retour avec l’analyste du Cirad sur les défis liés à la production rizicole en Afrique de l’Ouest et les possibilités de développement de la filière.

5 novembre 2024

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Agence Ecofin : En Afrique de l’Ouest, l’objectif d’autosuffisance fixé par le CEDEAO en 2014 a été finalement repoussé pour 2035. Que pensez-vous de ce report ?  

Patricio Mendez del Villar : Je pense pour ma part que la modification des objectifs est une bonne chose. 2025 c’est déjà demain donc c’est judicieux d’avoir revu les plans. Mais sur le fond, l’annonce de report semble plus porter sur la date que sur la politique en elle-même. Il a été dit que près de 19 milliards $ seront alloués pour relancer la culture de riz en Afrique de l’Ouest dont 14 milliards $ de dépenses pour les investissements et 5 milliards $ pour des dépenses d’exploitation. Les détails ne sont pas encore clairs. Mais une chose est sûre, c’est une course contre la montre.

L’Afrique subsaharienne, et l’Afrique de l’Ouest en particulier, a besoin de plus en plus de riz à cause de sa démographie qui progresse et de l’urbanisation croissante. Dans les principaux pays de la région, les urbains sont les principaux consommateurs de riz même si les populations rurales consomment également du riz.

Tout ceci fait que les volumes consommés en Afrique de l’Ouest sont un peu plus importants chaque année. Même si la production progresse, on n’arrive pas à réduire de manière significative la contribution des importations à la satisfaction des besoins de consommation. En gros, on estime que les achats sur le marché international représentent en moyenne entre 40 et 50% de la consommation annuelle de l’Afrique de l’Ouest. Je pense que la part des importations persistera malgré les ambitions qui sont annoncées depuis 15 ans, mais qui sont reportées parce qu’on n’arrive pas à les atteindre. Je ne vois pas d’ailleurs comment on va pouvoir couvrir les besoins rizicoles de la région avec le riz local, en raison des systèmes de production. 

AE : En quoi l’organisation actuelle des filières rizicoles en Afrique de l’Ouest, basée essentiellement sur de petits producteurs, limite le développement de l’offre ?

P.M. d. V. : La raison fondamentale est que dans beaucoup de régions, il s’agit d’une culture fondamentalement vivrière. Elle est d’abord autoconsommée. Des surplus peuvent être commercialisés sur les marchés. Mais le problème est que cet excédent n’est pas suffisant pour couvrir les besoins de plus en plus croissants. Au mieux, les petits producteurs arrivent à avoir des surplus d’une ou deux tonnes. Or au niveau de la transformation, il faut que les unités plus ou moins modernes puissent collecter assez de riz pour être rentables et ensuite être compétitives sur le marché. Pour avoir des surplus plus importants, il faudrait peut-être modifier la façon de produire, c’est-à-dire qu’il faudrait cultiver à une plus grande échelle, de manière à enregistrer des économies d’échelle, d’améliorer la productivité et la rentabilité de la riziculture, et ensuite pouvoir organiser tous les canaux de distribution du riz local pour que cela arrive jusqu’au consommateur des villes.   

AE : Un changement de mode de production tel que vous l’évoquez pourrait être problématique quand on sait que la culture du riz est une source de revenus en milieu rural pour les exploitants…

P.M. d. V. : Oui effectivement.  Si l’on passe à une production à plus grande échelle, cela pose un problème social. Bien évidemment, le riz fait vivre des millions de familles et des ménages ruraux. Produire à une macro-échelle, c’est aussi enlever aux petits producteurs la possibilité d’avoir des entrées d’argent. C’est pour ça que la problématique n’est pas simple à résoudre. Et il me semble que les États ont pris l’option de garder ce système de production de petits producteurs, parce que socialement ce n’est pas tenable autrement. Mais de l’autre côté, la multitude des petits producteurs rend difficiles l’organisation efficace, la commercialisation et la production. Il y a une importante contrainte liée au financement et au crédit. Je ne sais pas si dans les dépenses d’exploitation de 5 milliards $ annoncées, il y a des interventions dans le sens de l’amélioration de l’accès au crédit. Mais déjà, je ne pense pas que cela sera suffisant pour accroître les rendements et augmenter les surplus commercialisables. Cette situation va entretenir davantage l’importation de riz asiatique pas cher et faiblement taxé qui a pour l’avantage de stabiliser les prix pour les consommateurs.

AE : Par rapport à l’imposition, comment expliquer que le taux appliqué dans la CEDEAO soit aussi faible (10 %) comparativement à d’autres régions ?

P.M. d. V. : Je pense que pour les États de la région, l’objectif est de pouvoir fournir aux consommateurs un riz en quantité suffisante et à un prix le plus bas possible. C’est une constante dans les politiques rizicoles des pays d’Afrique de l’Ouest.  Au fond, les États ne protègent pas le riz local parce que la priorité est que les consommateurs soient protégés. C’est pour cela que la protection aux importations de riz est très faible. Cela fait partie de la politique des pays d’assurer aux consommateurs, un produit qui soit accessible toute l’année et à un prix raisonnable.

Cette situation amène à des postures contradictoires. D’un côté, on veut atteindre un objectif d’autosuffisance et on annonce des moyens qui sont importants. Mais de l’autre, on ne protège pas le marché local du riz importé qui arrive à un prix compétitif. Une protection « acceptable » serait par exemple d’augmenter un peu les taxes pour alimenter un fonds d’investissement pour développer le riz local. Or, je ne vois pas dans ce qui est annoncé des mesures structurelles qui permettraient à la fois d’augmenter la production, de protéger cette offre vis-à-vis du marché externe et de contrôler par des taxes, l’entrée du riz importé, mais aussi pérenniser le financement des filières locales grâce à des taxes parafiscales.  

AE : Certains appellent de plus en plus à une diversification des régimes alimentaires pour limiter la place du riz au profit d’autres céréales et des racines et tubercules. Qu’en pensez-vous ?

P.M. d. V. : Effectivement, c’est une autre piste qu’il faut explorer, mais il ne suffit pas de simplement lancer l’idée d’une diversification des systèmes alimentaires en incitant à manger moins de riz et davantage des céréales locales pour lesquelles l’Afrique de l’Ouest serait autosuffisante ou en tout cas avec des importations bien moins importantes par rapport au riz. Je pense qu’il faut d’abord comprendre pourquoi le riz a eu un tel succès chez les consommateurs africains et notamment les consommateurs urbains. La réponse est simple. C’est un produit qui est facile à conserver et à cuisiner. Même après cuisson, il peut se conserver un ou deux jours sans trop de problèmes sanitaires, mais sous certaines conditions, de froid notamment.

C’est la raison pour laquelle le riz a eu un succès dans le milieu urbain. Or, les autres céréales, ou même des racines et tubercules, nécessitent un temps de préparation plus long que malheureusement la vie urbaine ne permet pas toujours. Vous pouvez faire cuire du riz en 10 à 15 minutes, ce qui n’est pas le cas pour les autres céréales comme le mil ou le fonio. Cela dit, je pense que la diversification des systèmes alimentaires est une piste intéressante qu’il faut creuser pour réduire la place du riz dans les régimes alimentaires. Mais pour y arriver, il faut aussi travailler sur la transformation de ces produits alternatifs. Malheureusement, il n’y a pas encore de politiques de promotion à grande échelle. Il y a des petits projets de transformation des céréales locales, mais il n’y a pas d’initiatives de grande envergure pour aller vers cette diversification des systèmes alimentaires.

AE : Le nouveau report de l’objectif d’autosuffisance pour 2035 amène à s’interroger sur la pertinence même de cette ambition. Est-ce un objectif réaliste ?

P.M. d. V. : L’objectif ne peut être réaliste que sur certaines conditions. Actuellement avec les systèmes de production à micro-échelle, l’autosuffisance rizicole pour la sous-région ne me paraît pas accessible. En tout cas, pas dans les 10 prochaines années. Les besoins sont énormes en Afrique de l’Ouest. Et je ne pense pas que les 19 milliards $ suffiront. Si on arrive à mobiliser cette somme, cela sera une avancée. Mais, la question est de savoir : comment sera-t-elle dépensée ? Quel est le modèle économique qu’on veut privilégier ? Est-ce qu’on va promouvoir une riziculture intensive, des périmètres irrigués ? Quelle place sera consacrée au crédit de campagne, à la mécanisation ou encore au développement des variétés améliorées ? Ma crainte est qu’un nouvel inventaire de mesures soit dressé par les Etats. Or depuis 50 ans au moins, on sait ce qu’il faut faire. Mais, ce qu’on ne sait pas faire, c’est comment les mettre en œuvre. C’est la chose la plus importante.

Propos recueillis par Espoir Olodo